Au Jardin d'Essais
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Au Jardin d’essai

 

Au Jardin d’essai, j’ai 3 ans, Octobre 1946

Mon père m’y mena toute petite pour me faire découvrir les merveilles de la nature. Toutes les plantes, tous les arbres du monde y étaient représentés. Il m’invitait ainsi à sortir de ma ville, à sortir du pays où j’étais née et à devenir ce qui pour lui devrait être le monde de demain, où les futurs citoyens de tous les états se sentent citoyens du monde. C’est ainsi que je me vois en même temps qu’en vieillissant je me sens de plus en plus, non pas citoyenne du monde, mais extraterrestre.

La petite fait la gueule. Vous ne savez pas pourquoi, moi si. La réponse lui fut donnée 15 ans plus tard.

Qui prend la photo? La réponse est dans le deuxième cliché. Vous voyez, ici, Je joue au détective et vous remarquerez que si la gamine fait la gueule, le père, lui, est souriant. Il sourit à la personne qui prend la photo. Était ce ma mère ? Non pas, elle n’était jamais de la partie le Dimanche quand on allait au Jardin d’essai.

Alors que se passait il au Jardin d’essai? Qu’il pleuve ou vente, hiver, printemps, été, il y avait ceux qui allaient à la messe et ensuite à la pâtisserie et celles qui disaient aller à la messe et qui nous rejoignaient au Jardin d’essai.

Vous noterez que ce Jardin revient en leitmotiv, reculer pour mieux sauter? Ou simplement que ce ne fut pas pour moi de bons moments parce qu’à part celle qui prend la photo il y a sa fille, Anne, que je détestais.

Je n’ai compris que plus tard pourquoi, moi qui avait beaucoup de petites amies, comme Nénette, Nicole, Josette, Annette et mes cousins et cousines que j’aimais beaucoup, je devais supporter cette gamine qui était insupportable à tous points de vue. Elle était incroyablement inventive quand il s’agissait de faire des bêtises et de m’entraîner. Elle avait deux ans de plus que moi et aimait appeler mon père « papa » ce que je trouvais bizarre car elle et sa mère vivaient toujours avec son propre père et ils habitaient tous les trois un appartement au dessus du magasin de papa où, maman m’avait raconté qu’on rangeait sa poussette quand elle était petite.

Toute autre que moi aurait peut être déjà compris que tout ça était une banale histoire de « grands » comme on disait alors, une banale histoire d’adultère, et de nos jours une banale histoire de culs.

Je deviens vulgaire avec l’âge, mais à 78 ans ou je me libère maintenant ou jamais.

Nous voici donc au jardin par un beau matin d’Octobre où on s’est déjà disputé. Moi, je fais la gueule, elle a son pouce à la bouche, je tiens le sac de mon goûter et… un bâton. Elle est plus grande que moi et comme on se dispute, on se bat à chaque fois, je m’arme. Papa est heureux, il est dans le déni, il ne fait rien de mal en retrouvant sa maîtresse tous les Dimanches dans ce jardin si vaste qu’on n’y rencontre jamais personne.

Jeune, je n’ai jamais rencontré un autre enfant aussi malveillant, on disait d’Anne qu’elle était un démon et c’est pas peu dire, que c’était un « diable » et venant de sa propre mère catholique convaincue, le mot n’était pas trop fort. Quand nous avons grandi, parce qu’elle m’a, qu’elles m’ont poursuivi tout au long de mon enfance et de mon adolescence, je trouvais bizarre que nous passions nos vacances ensembles, que nous allions à l’opéra ensembles, surtout que ma mère n’appréciait pas sa mère et ma marraine qui était souvent chez nous ne pouvait pas l’encaisser. Elle se moquait d’elle, de ses tailleurs si révélateurs de ses amples formes et de ses chapeaux ridicules.

Elle vint une fois avec une extraordinaire sorte de galette sur la tête et je me rappelle que marraine s’est mise à siffler l’air du toréador de Carmen. Il fallait vraiment être stupide pour ne pas comprendre l’animosité qui entourait ces deux êtres. Tel climat faisait que maman était régulièrement malade le Dimanche soir, vomissant tripes et boyaux et accusant non pas mon père qui lui infligeait ces visites mais le chocolat et les brioches qu’il préparait de ses mains pour nos « amies ».

La vie aurait ainsi continué, Anne faisant des conneries de plus en plus graves, se faisant expulser de toutes les écoles catholiques et de tous les pensionnats privés de notre ville jusqu’au moment où nous avons tous fait nos valises.

Elle et sa mère se sont installés dans une autre ville que nous et un beau jour sont venues nous rendre visite, ce jour là j’avais rendez vous avec ma cousine Sylvia. Nous allions à la plage et Anne s’est invité. Puis elles sont repartis vers leur nouvelle ville. Je suis retournée à la plage où j’ai retrouvé mes copains et l’un d’entre eux m’a dit : « tu ne nous avais pas dit que c’était ta soeur ». Je lui ai répondu d’où sors-tu cette insanité, je suis fille unique. Mais c’est ce qu’elle leur avait dit.

Et puis à quelque temps de là mon père est redescendu dans notre ville et de là a écrit à ma mère une lettre qui commençait : « ma chère A... » ce qui n’était pas le prénom de maman et continuait en expliquant qu’il allait enfin se débarrasser de nous et venir la rejoindre à N... À midi au retour ma mère en larmes m’a montré la lettre. La colère m’a aveuglée, je l’ai maudit.

Mais il n’a pas pu se débarrasser de nous il est mort, le pauvre, 6 mois plus tard. On ne les a plus jamais revues mais certaines fois quand nous allions sur la tombe de mon père il y avait des fleurs que nous n’avions pas apportées

 

 

 

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