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Le sein

 

« Cachez ce sein que je ne saurais voir »
(Toujours hors sujet, ma marque de fabrique)

Mon oncle Jo et ma tante Vivi étaient nés dans le même immeuble : elle au quatrième et lui au cinquième de la Rue Eugène Robe au square Nelson, dont vous avez déjà entendu parler par notre Éditeur en chef, monsieur Charles, lui aussi notable résident de cet immeuble dans son jeune âge.

Elle était la septième d’une famille de sept enfants. L’aîné, un garçon, très laid. J’ai la photo qui le prouve. Mais les parents s’étaient surmontés (sans jeu de mot) avec les deux dernières qui étaient des beautés. Vivi, la benjamine aux yeux magnifiques avait dès son tout jeune âge séduit le garçon du cinquième et s’était laissé séduire par son physique de jeune sportif, qui fit d’ailleurs son service militaire dans les chasseurs alpins. Assez drôle la vie, quand on y pense, parce que des montagnes à Alger c’était pas la porte à côté.

De chez nous on en voyait aucune. Il aurait dû être dans la Marine parce que la mer, elle, on s’en mettait plein les yeux surtout de leur balcon qui surplombait le Square Nelson. (Voir carte en référence si ça vous intéresse, chez Shalom) et si ça ne vous intéresse pas, tant pis, moi j’ai envie de vous raconter mon Square Nelson. Quartier limite entre les quartiers populaires assez pauvres et les quartiers de commerçants. Commerçants, vous comprenez bien que dans une ville portuaire, ce ne sont jamais les plus mal lotis.

D’un côté, Rue Eugène Robe, Tata-mémé. De l’autre côté du Square, Rue Laborie La Sapie, Mamie. Et là, entre les deux mon cœur balance, le Mercredi jour de visite chez ma grand-tante, Eugénie, mère de Vivi, le Jeudi repas de midi chez mamie que vous connaissez déjà, fidèles lecteurs, pour ses recettes. Mamie étant l’épouse en seconde noces de Papi. L’usurpatrice aux yeux de tata mémé, car elle avait épousé son ex-beau-frère, responsable de la mort d’une sœur qu’elle adorait. Soeur victime d’un coureur invétéré. Quand je dis coureur, c’est au-dessous de la vérité. Pour preuve Eugénie disait de lui devant moi, « toujours le pantalon sur les chevilles », inutile de vous préciser que je ne comprenais pas, parce que Papi, fabricant de tabacs trois générations, était toujours impeccablement vêtu quand il revenait de la fabrique à midi en voiture avec chauffeur, lui qui ne se déshabillait même pas pour faire la sieste.

De Mamie et de ses repas fantastiques, vous savez déjà. Mais rien des jours de visite d’Eugenie, le Mercredi, où toutes ses filles se rassemblaient, y compris ma mère, sa nièce, qui s’infiltrait en secret dans l’immeuble pour ne pas offenser sa marâtre qui était au balcon de l’autre côté du Square.

Mercredi, après midi de bombance de choses sucrées. Ma cousine Colette, mon cousin Jackie et moi on restait à faire les idiots, dans la chambre du fond jusqu’à l’heure du goûter, goûter qu’on devait déguster à table dans la salle à manger.

Mais un jour, à notre surprise, la bonne Aisha était de la partie. Mais pourquoi donc si tard dans la journée, elle qui finissait à midi.

On ne suivait jamais les conversations des tantes ayant l’interdiction de parler la bouche pleine et nos bouches l’étaient de façon permanente pendant au moins vingt minutes. Minutes pendant lesquelles Aisha parle, Eugénie de traduire. Et ce qui suit était tellement improbable que ma cousine Colette et moi furent prises d’un tel fou rire, qu’on a failli mourir de rire ce jour là, surtout moi, avec ma manie de m’étouffer en mangeant. Mon entourage le sait bien, j’avale, je suffoque, je m’étouffe et si vous tenez à moi il faut me donner de grands coups dans le dos ou je meurs, littéralement, la gueule ouverte.

Donc ce Mercredi après-midi, Dieu seul sait ce qu’Aisha racontait à ce harem autour d’elle, mais tout à coup elle plonge la main dans son corsage et la retire. C’est à ce moment-là que Colette et moi explosons de rire pensant qu’elle allait nous sortir son sein, geste connu pour avoir vu les mamans se préparant à allaiter leur bébé sur les bancs du Square Nelson. Tu plonges la main, tu sors le sein et tu branches le nourrisson.

Mais voilà qu’Aisha nous sort… ses papiers.

Quels papiers, on n’a jamais su.

On nous a demandé de quitter la table juste au moment où nous allions nous attaquer à une magnifique charlotte, œuvre de tata Suzanne,(marraine de Colette que vous avez peut-être connue et ma meilleure copine d’enfance).

40 ans plus tard, quand on se retrouvait, Colette et moi, il nous suffisait de formuler des lèvres : « le sein ».pour déclencher un irrésistible fou rire.

Londres le 6 mars 2021.

 

 

 

Melina Mercouri - Les enfants du piree