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Les frites

 

Notre régal à nous, à TiCharles et moi , c'était les frites (de plage comme de ville).

Si on commence par les frites de plage, (dénommées chips aujourd'hui soi-disant à l'américaine, mais celles-là dans une cellophane hermétique avec date de validité 2 ans, si on ne vous a pas d'ici-là écrasé le paquet plusieurs fois en vous laissant avoir droit encore quand même à quelques miettes, celles les plus mangeables).
Nos frites de plage à nous, celles de la Madrague, on attendait qu'elles cuisent sur place, avec les cornets déjà réservés ne vous déplaise.

Madame Jockey, en blouse blanche immaculée, prenait les commandes de toute la plage en les notant dans l'ordre.

Il fallait se déplacer donc une 1ère fois pour se faire inscrire avec son nom de famille et le nombre de cornets désirés, désirés c'est le mot j'vous dis pas ! Et elle, et elle seule, elle vous disait dans combien de temps vous pouviez revenir selon le nombre de cornets avant vous. Si vous arriviez après le temps qui vous était imparti, tant pis pour vous, vous alliez mangers vos frites, encore bonnes certes, mais refroidies.

Le patron de cette splendide affaire, prospère comme j'peux pas vous dire, avait installé son fonds de commerce hebdomadaire à même la plage, entre le Méditerranée et le Riva Bella, là où l'espace était public et que les patrons voisins ils pouvaient rien lui dire.

Jockey c'était pas son vrai nom. Je peux pas vous livrer son nom authentique, surtout là comme ça, mais je peux vous dire que son surnom était dû d'abord au fait qu'il ne devait pas dépasser 1,52 m. tout au plus, et ensuite parce qu'il avait le corps sec comme une cravache, torse nu qu'il était (normal sous le soleil malgré le parasol, et avec la chaleur du fourneau tu penses). Avec ça des avant-bras musclés, mais musclés comme c'est pas possible, bref, l'archétype du jockey.


La Madrague

Parlons-en de son fourneau, un énorme réchaud à pétrole sur pied, construit certainement sur mesure dans un métal presque noir, avec un énorme réservoir à pétrole en-dessous et une énorme bassine en forme de vasque très très profonde sur le dessus. Jockey devait trimbaler tout ça à la force des poignets, pétrole y compris, et on comprend maintenant les muscles des avant-bras et les abdominaux....

Je le revois en train de transpirer devant son fourneau, actionnant en permanence un piston censé en activer les flammes, car c'était là son secret....

Son secret pour que ses frites soient cuites certes, mais à peine saisies avant qu'elles ne deviennent trop grasses.

Et lorsqu'il y avait deux ou plusieurs tranches qui s'étaient collées pendant la cuisson, toutes moelleuses à l'intérieur, je peux pas vous raconter...!

Le seul problème, fatalement il en fallait un, c'est que le couple Jockey amenait toujours avec eux pour transporter les sacs de patates et ensuite les peler, Madame Jockey se chargeant elle de les trancher juste à la mesure, pas trop fines, grâce à un tranchoir de boulanger super aiguisé : elle faisait toujours éloigner les enfants...allez savoir avec eux !

Ils amenaient, dis-je, une espèce de p'tit nain comme on disait, un nain donc, mais un nain qui en plus d'éplucher les patates, qu'il s'amusait à me terroriser, rien qu'à sauter sur place et à me faire des grimaces horribles.

J'vous dis pas la trouille qu'il me filait...Papa me disait qu'il avait remarqué que ça lui faisait plaisir de me faire peur et il profitait d'en rajouter, comme par vengeance de son état, allez savoir..! Des fois ça me coupait même l'envie des frites, s'il fallait que ce soit moi qui aille les chercher, vous dire à quel point !

Depuis, méchants ou pas, je vous jure que j'ai encore aujourd'hui une trouille bleue des nains.

Comme frites de plage, il y avait bien encore celles de la Pointe-Pescade, avec fourneau à pétrole installé sur la place qui dominait la mer et tout, mais rien avoir avec celles de chez Jockey, huileuses et trop cuites qu'elles étaient, coupées trop fines...Un désastre quoi !

Pourquoi on en mangeait me direz-vous ? Mais parce qu'elles servaient à accompagner les brochettes de chez Canette pardi ! Lui non plus c'était pas son vrai nom, vous l'auriez compris sans que je vous le dise, sauf que précision : les canettes pour nous, c'étaient les bouteilles d'un litre de bière Phénix ou limonade Hamoud Boualem, fermées d'un bouchon de porcelaine avec caoutchouc et ressort de fer, et que Tonton Robert il tenait une de chaque main pour les verser plus vite pour faire des panachés, tellement les enfants ils avaient soif les pauvres...

je parle de Tonton Robert ? C'est que quand on faisait une sortie avec lui et son camion Citroën qui pouvait embarquer toute la famille, pas à la Madrague ces fois-là, mais à l'une des plages de Sidi Ferruch qui s'appelait Moretti, immanquablement on s'arrêtait chez Canette au retour manger les brochettes.

Maintenant que je parle de Moretti: pas un seul établissement de bain sur des kilomètres de plage de sable fin, avec des herbes sauvages qui poussaient un peu partout, et toujours un vent d'ouest qui faisait faire à la mer des rouleaux incroyables. Nous, dès qu'on était arrivé, on gonflait les matelas pneumatiques, y en avait tant et plus parce que c'était Tonton Robert qui les vendait, épais et solides comme tout, et nous voilà avec Danielle, Colette, Sylvia, Ticharles qu'on surveillait quand même, courir au large avec chacun son matelas, loin très loin parce qu'on avait pied à des kilomètres.


Camion Citroën tôle ondulée

A plat ventre sur notre matelas, on était repoussé à toute vitesse jusqu'au rivage par la vague qu'on s'était choisie et comme ça toute la journée, même qu'on rentrait le soir avec le dos cuit par le soleil et le ventre aussi mais par le caoutchouc dont je vous ai déjà parlé.... C'était notre surf à nous en quelque sorte !

Quand on voulait repartir le soir, immanquablement le camion avait ses roues enfoncées dans le sable...Je le revois bien ce camion avec une énorme pile wonder sur le toit qui servait de réclame, vous vous rappelez "la pile qui ne s'use que si l'on s'en sert". Tonton Robert avait l'exclusivité de la pile Wonder pour tout le département d'Alger, j'vous dis pas l'argent qu'il a dû se faire ! Après, ça a été la cocotte minute Seb, les premières arrivées à Alger. Tonton Robert s'était encore débrouillé pour avoir l'exclusivité sur le marché, et une énorme cocotte minute avait pris la place de la grosse pile sur le toit du camion.

Bref revenons à ce fameux camion que quand on montait dedans personne pouvait passer inaperçu... Toute la famille se mettait à dessabler les roues à la main comme ça, même qu'on disait que les Américains eux, heureusement pour eux, ils avaient des péniches avec des chenilles pour débarquer là.

Et nous voilà rendus enfin chez Canette, devenu au fil des années bon copain de Tonton Robert.

Vous comprenez maintenant la soif des grands et surtout des enfants à l'arrivée...

Quand on allait chercher les frites, sur la place juste à côté, les cousines avaient la peur de leur vie parce qu'il y avait des dizaines et des dizaines de chauves-souris qui survolaient la place, attirées par les lampadaires et sans doute les moustiques du soir qui étaient comme ça occupés à autre chose qu'à venir nous piquer.

Colette avait expliqué sa leçon de sciences naturelles qui disait que ces "souris-rapaces là" étaient complètement aveugles, qu'elles se dirigeaient uniquement avec leurs grandes oreilles qui leur servaient de radar, mais que les longs cheveux ça pouvait brouiller leurs ondes au point qu'elles aillent s'enchevêtrer sur certaines têtes. Passons sur la suite qui faisait que c'était surtout moi qui était de corvée de frites, oui moi, parce que je préférais à tout prendre les chauves-souris aux p'tits nains, sans l'ombre d'aucun doute !

Sur le registre des brochettes, rien comme Fort de l'Eau !

A 15 kms à l'est d'Alger, tu prenais pour sortir de la ville la route moutonnière, elle s'appelait vraiment comme ça ! Ma parole c'était un présage...

Tu te rends compte, le soir après la plage, on se tapait toute la route La Madrague-Alger, on traversait tout Alger et y avait pas de rocade à l'époque pour éviter le centre ville, et on reprenait la route à l'est pendant une demi-heure, rien que pour ça !

A peine à l'entrée du village, on était saisi par la fumée et l'odeur de mouton grillé qui s'engouffraient dans la voiture.

On ne connaissait pas grand'chose de cette station balnéaire, si ce n'est sa grande avenue centrale bordée de chaque côté par d'innombrables brasseries collées les unes aux autres, quoique séparées entre elles par d'énormes grilloirs à charbon, chacune ayant le sien...
Même sans frites, je vous dis pas comment on pouvait se régaler...!


Fort de l'eau

Sans frites certes, mais brochettes servies avec un pain merveilleux tassé mais moëlleux, tellement bon qu'il aurait pu rivaliser avec le pain de chabbat de Jeannie ou Tata Mireille, les meilleurs de la famille parce qu'elles le pétrissaient avec de la semoule...

Maman disait que c'était du pain mahonnais, celui que les espagnols vendaient à Bab el Oued.


Pain mahonnais

A mon avis, c'était sûrement des boulangers maranes qui l'avaient inventé, pendant l'inquisition, pour faire croire que c'était du pain pour tout le monde, mais qu'en réalité il devait servir en secret à tous les Maranes de la ville, pour leur table de chabbat.

Vous dire comment il était bon !

 

En matière de frites, cette fois les frites de ville , certes on pourrait dire de restaurant, le Grand Café Riche était imbattable.

Mais si allons vous connaissez, il était juste en face du Majestic, même qu'on pouvait le voir de notre balcon, de l'autre côté du square Nelson !
Les frites de rêve qu'il faisait chez lui, je pourrais en parler des heures. Longues et bien carrées, blanches et molles, huileuses à souhait mais là ça leur allait trés bien, salées au gros sel, on en devenait fou TiCharles et moi...

Sauveur Marco qu'il s'appelait le patron. Il connaissait bien Papa parce qu'il venait après le travail avec ces messieurs de la SGS, Gérard, Butz, Gato, Vatin etc...Ca sentait à plein nez la friture et l'anisette, mais sa kémia était imbattable :


Grand Café riche

des multitudes d'assiettes, olives de toutes sortes, poivrons piquants, pois chiches au poivre rouge, cacahuètes salées grillées maison, tramousses, sardines en scabètche, fritures de tout petits rougets en direct de la pêcherie, moules en sauce piquante, tout ça en plus des frites miraculeuses !

Chacun payait sa tournée, sauf certains Patos qui n'avaient jamais vu ça et qui en profitaient pour faire leur repas du soir... Mais Sauveur Marco avait l'oeil: "Je vous ressers quoi Messieurs ? " Un peu plus tu vois pas, ils allaient littéralement lui bouffer son fonds de commerce ma parole !

Quand Papa nous racontait tout ça à table, ça nous laissait tellement rêveurs que des fois il nous sifflait le soir pour qu'on aille manger des frites avec lui chez Marco.

Maman n'était pas trop contente à cause de son souper: "Et alors ça sert à quoi que j'me fatigue tout l'après-midi ?"

Papa nous hissait sur les hauts tabourets du comptoir, ailleurs sur les quelques tables il ne se passait rien. Vous croyez pas qu'on allait venir vous servir en plus la kémia comme ça à table, comme qui dirait en terrasse ?

C'est pour cela que tout le monde s'agglutinait au comptoir, dans une cohue et un bruit pas possible, tandis que Marco sortait ses petites assiettes en réserves dans les étagères en-dessous, au fur et à mesure que les autres se vidaient, c'est à dire à toute vitesse, en même temps qu'il servait les boissons... Je sais pas comment il y arrivait !

Papa commandait un demi-pression pour lui, une grenadine pour Ticharles et un crush à l'orange pour moi et Marco nous donnait deux assiettes de frites toutes chaudes pour chacun tout seul, vous vous rendez-compte ?

Le Café Riche était devenu pour nous tellement légendaire, que bien plus tard, le Mercredi après le Lycée, on y allait avec Picone, Bouchara et Djian (à savoir ce qu'ils sont devenus ceux-là), non pas pour l'apéritif, c'était pas encore l'heure et puis on y aurait pas eu droit vu l'âge, bien qu'on soit déjà en 4ème mais bref, c'était pour jouer au babyfoot.

Marco connaissait bien Papa et le père de Picone (normal il habitait juste en face), et lui-même était scaphandrier au port d'Alger et connaissait bien Papa, si bien que l'on se serait cru en famille, comme qui dirait sans méfiance, voilà...!

Jusqu'au moment où entra un agent de police venu vérifier l'âge des prétendus consommateurs.

Directement, parce que je faisais sans doute le plus jeune, il m'empoigna fermement par le bras, tandis que les trois autres s'étaient déjà égayés dans la nature. "Où habites-tu petit ?"

Et il a tenu spécialement à me raccompagner en personne, au 22 de la rue Eugène Robe, jusqu'au 5ème étage porte gauche s'il vous plaît, alors que c'était mercredi comme je vous l'ai dit, et qu'il y avait là Mme Mikaleff, Tata Denise, la cousine Babette, Tata Lucie, le désastre quoi...

Il tint à sonner lui-même et lorsque Maman ouvrit, il demanda à entrer en me tenant toujours fermement le bras.

Nous voilà tous dans la salle à manger, lui et moi prisonnier en quelque sorte, debout, tous les autres assis.

"Madame que fait votre fils sans accompagnement dans les bars du quartier ?" je vous dis pas les yeux étonnés de Maman.

Puis reprenant son air naturel plutôt débonnaire : "Madame, je suis moi-même d'ici et père de famille et je dis que votre fils se met en danger, à la merci d'une grenade ou d'une fusillade, allez savoir. je savais que vous ne deviez pas être au courant, rien de grave il jouait au babyfoot, mais je voulais vous avertir moi-même".

Il accepta un café, ne rédigea pas de procès-verbal, et tout se termina plutôt bien !

Pipop dans sa chaise haute n'avait rien compris à ce que faisait chez nous cet homme en képi, quant à Ticharles, il affirma plutôt sévèrement qu'il aurait dû m'emmener en prison rien que pour m'apprendre !

 


Ecole Lazerges

Plus tôt, ce fut l'époque de la communale, l'école de la rue Lazerges. Permettez que je vous en parle un peu: deux grands bâtiments symétriques avec deux cours intérieures avec préau, séparées l'une de l'autre par un grand grillage. Aile gauche pour les filles, fréquentée par toutes nos cousines et aile droite pour les garçons.

Ma classe à moi, au premier étage, avait toute sa rangée de fenêtres qui donnait directement sur la mer, en partant de l'extrême ouest jusqu'à l'amirauté et au port. Qu'il était facile de se mettre à rêver en regardant les paquebots sortir cap plein nord vers le large...! Jusqu'à qu'on se prenne un morceau de craie en pleine tête, lancée vigoureusement par M. Timsit. Un physique à la Humphrey Bogart, la cigarette au coin d'une lèvre envoyant un filet bleu dans un œil pleureur, ce Timsit on l'adorait...

Il nous aimait aussi, s'étant juré de faire de nous des champions en français et en mathématiques, fin prêts pour l'examen d'entrée en 6ème. En celà il se faisait seconder par Valentine, compagne inséparable, une espèce de latte en bois blanc, longue d'1 m, large de 8 cm, épaisse d'1 cm, qui servait essentiellement lors des corrections au tableau.

A chaque point un peu épineux, il demandait qui avait fait la faute, sans qu'il nous vienne un instant l'idée de mentir, encore moins de tricher (on aurait pu vite fait corriger not'cahier).

Il fixait alors le tarif selon la gravité de l'entorse, de 1 à 10 coups de Valentine, et voilà tous nos coupables en rang d'oignons devant l'estrade, prêts à recevoir leur châtiment. Il s'agissait alors de mettre la tête entre ses genoux, lui debout sur l'estrade, et Valentine s'abattait à toute volée sur les fesses de l'intéressé...

Nous apprîmes ainsi de façon cuisante, mais sur le bout des doigts, les règles de français, mathématiques, géométrie etc...
Ne l'imaginez pas en père fouettard pour autant : jamais un instituteur ne nous aura fait autant rire que lui. La leçon de sciences naturelles sur les muscles, il l'a faite façon Tarzan sautant de table en table, bas de pantalons retournés aux genoux pourqu'on puisse bien voir, et même palper mollets et tendons en plein effort...Toute une classe en délire !
Autres temps autres moeurs...

Quand on n'avait pas classe, Maman nous emmenait au square Guillemin, rejoindre Tata Hermance et les cousines.

 


Square Guillemin


Je me rappelle que le square était séparé en trois parties :

- La 1ère s'étalait en pente légère de la rue Eugène Robe vers le Front de mer toute garnie autour de bosquets et de plantes grasses. C'est là que passait le marchand d'oublies, une énorme boîte en fer cylindrique accrochée à l'épaule, agitant une crécelle en métal pour alerter les enfants...
On se précipitait pour lui donner notre pièce, il posait à terre sa boîte, et on faisait tourner une espèce de roue de la chance fixée sur le couvercle, jusqu'à ce que l'aiguille s'arrête sur l'une des innombrables cases peintes à la main de façon maladroite: tu pouvais gagner deux, trois, cinq, dix oublies empilées.

- La 2ème partie allait de l'avenue de la Marne à la rue Eugène Robe. Là trônait en permanence un manège où Sylvia attrapait toujours le pompon, incroyable comment elle était forte! Je me souviens aussi de stands de foire avec un marchand de beignets italiens tout chauds.

- La 3ème partie, avait un autre nom pour bien souligner sa différence, le jardin Marengo; Il montait de l'avenue de la Marne jusqu'en haut, à la rampe Vallée après un dédale de tournants en épingles à cheveux, au milieu de toutes sortes de fleurs odorantes. Je me souviens d'énormes oiseaux de paradis couleur orangée.... Pour nous cette partie-là c'était une véritable aventure !



Les trois horloges

Lorsque l'après-midi était trop avancée, on ne s'arrêtait pas au square Guillemin, mais on continuait par l'avenue de la Marne, l'avenue de la Bouzaréah, jusqu'aux Trois Horloges, là où il y avait Blanchette le marchand de beignets (il devait son surnom à sa peau d'ébène, héritée peut-être d'un descendant d'esclave de l'empire ottoman).

On ne perdait rien de bout en bout de l'opération.

Il prélevait une poignée de pâte d'une bassine à ses pieds, sans la repêtrir, il faisait virevolter ce morceau de pâte entre ses doigts, jusqu'à ce que celle-ci soit quasiment aérienne et parfaitement circulaire, tellement qu'on aurait dit une roue avec un enjoliveur tout fin au milieu.

Tout d'un coup, il t'envoyait ça d'un geste sec du poignet pour que ça atterrisse dans l'huile bouillante en tournoyant. Tout en continuant à tournoyer, la roue se mettait à dorer rapidement, se transformant en savoureux beignet, tandis que l'enjoliveur était déjà devenu une pellicule toute croustillante...

Blanchette vous fourrait le tout dans un morceau de journal plié en deux, pour que ça boive bien l'huile, et je vous raconterai pas la suite complètement inutile...

On ne pourrait pas clore le chapitre de ces délices sans vous parler aussi des frites de Maman, celles qu'elle nous faisait le dimanche pour accompagner nos côtelettes. Trois kilos de patates il fallait, tellement on se jetait dessus Papa et nous...

Une fois, on était tellement impatient de commencer à en manger, que Maman retira le contenu de la première bassine et sans attendre les deux suivantes comme d'habitude, elle confia à Ticharles l'énorme saladier rempli de la précieuse marchandise.

La marche dans le couloir se passa plutôt bien, mais à l'entrée de la salle à manger, tout en claironnant fièrement : "Maman a dit que vous mangiez tout chaud", patatras, il se prit les deux pieds dans le tapis et s'étala de tout son long, tandis que les innombrables frites se mirent à voler dans tous les sens...

Inconsolable qu'il était, inconsolable et vexé comme jamais. On avait beau lui répéter que c'était pas grave, que Maman ferait frire une bassinée de plus... Rien n'a pu y faire...

 

 

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