L’aventure

C’est un homme petit de taille qui semblerait totalement écrasé s’il portait un chapeau sur sa yarmulke. Sa longue gabardine noire, un peu délavée autour du cou, ne fait rien pour améliorer l’ensemble, mais de son apparence physique il n’en a rien à foutre comme il le dit si bien à la créature qui partage sa vie, comme qui dirait sa femme. À propos il se moque bien d’elle quand elle se balance, pieds joins, en avant et en arrière pendant sa séance de pilâtes pour les seniors en zoom. Il lui dit alors, « tu peux te balancer tant que tu veux, c’est pas comme ça que tu finiras par me comprendre, tu es trop... » il n’ajoute plus rien, ça fait des années qu’il le lui lance au moins une fois par semaine, il pourrait le lui lancer tous les jours mais c’est un homme bien organisé qui préfère faire les comptes une fois par semaine en même temps que ceux de la maison dont il s’occupe bien qu’elle gagne le double de ses rentrées à lui qui sont surtout des sorties. Mais il faut bien se préparer une place là haut après le départ et sa contribution à diverses actions de bienfaisance devrait la lui réserver. Elle tient une boutique de fripes en ligne pour les femmes qui comme elle frisent la soixantaine et qui, de toutes façon ne doivent pas encourager le regard lubrique de l’Homme. Depuis leurs noces (c’était quand ? Elle préfère oublier), elle a vite compris que le moteur de sa vie, vis à vis d’elle, n’était pas le même que vis-à-vis des femmes en général, elle c’est sa mère, elles ce sont les mères des autres, la Femme à qui il lui arrive encore de « penser » en dormant.

Bon maintenant je suis sûre que vous l’avez reconnu. Bon, pas le public en général mais ceux qui lisent les journaux parce que la semaine dernière, en fin d’après-midi, au moment où elle renâclait à lui servir son whisky du soir, il lui lance « vas donc voir la bas si tu y es ». À ce moment précis il semblerait que cette remarque étant de trop, c’était la deuxième fois dans la semaine, qu’elle aurait saisi la bouteille de whisky, et de la briser sur le guéridon à côté de lui, et de ce fait, il lui reprochait toujours d’être empotée, elle lui aurait percé la carotide.

Circonstances atténuantes, a plaidé l’avocat, ça faisait des années qu’elle rêvait de faire une croisière avec sa soeur et il refusait systématiquement de la laisser partir sous le prétexte qu’elle aurait le mal de mer.