avec Francine

La vie de la maison et … surtout ma vie ont beaucoup changé à la naissance de ma sœur Francine le 25 août 1941 !

On m’avait préparée, on attendait un petit frère Francis !

Au début du mois prévu pour la naissance, mes parents m’avaient envoyée en vacances à Narbonne chez une tante de ma mère, l’accouchement se passant à la maison... il ne fallait pas que je sois là !

 

Je me suis bien plu chez eux car tout le monde me gâtait, la tante, les deux filles et le fils Maurice ; à cette époque Narbonne était envahie de moustiques l’été ; toutes les fenêtres étaient munies de moustiquaires et le soir venu ça grouillait sur le grillage ; je n’en ai jamais vu autant !

 

Après la naissance, j’ai retrouvé la maison.

Ma mère avait pris ma cousine Carmen (fille d’une sœur de mon père qui était décédée très jeune) pour s’occuper de Francine.

Il faut que je dise que mon père avait été très déçu à la naissance de ma sœur car il voulait un fils !!! Ma mère nous a toujours dit qu’il n’était pas monté la voir le premier jour … elle le lui a souvent reproché.

 

A ce moment là, je n’ai plus été la fille unique et gâtée que j’avais été jusque là ! Il fallait que j’aille endormir ma sœur pas toujours de bon cœur ; je lui chantais des berceuses : « ma poupée chérie », « le clocher de mon village » et « maréchal nous voilà » qui n’était pas une berceuse, mais que nous chantions tous les jours à l’école !

Carmen faisait le ménage, le repas, s’occupait de Francine ; elle travaillait beaucoup ; ma mère n’était pas très gentille avec elle … moi non plus au début, car comme je l’ai dit plus haut, j’étais une enfant gâtée ! Plus tard, nous étions beaucoup plus complices !

C’était l’époque des tickets de pain, nous étions rationnés.

Deux ou trois fois par semaine nous devions les coller sur des feuilles et mon père les donnait pour avoir de la farine ; c’était « suant »,mais nous piquions souvent des fous rires avec Carmen et Odette, la voisine du deuxième qui descendait nous aider.

C’est peut-être à cette époque là que mon père a acheté un poste de radio, c’était une nouveauté ! Nous étions ravies d’entendre les dernières chansons, tous les soirs nous étions à l’écoute ; nous écoutions aussi la radio de Londres !

Tous les ans, aux beaux jours, un chanteur des rues faisait sa tournée, il chantait tout en s’accompagnant à l’accordéon, sa compagne vendait des feuilles où étaient imprimées toutes les nouvelles chansons ; je les achetais puis je les recopiais sur un cahier … J’adorais chanter, j’adore toujours.

Il y avait aussi chaque année l’étameur qui passait, il s’installait sur le trottoir face au magasin, tout le monde lui portait les fourchettes et les cuillères à étamer ; ça consistait à tremper les couverts dans un bain d’étain en ébullition, et ils ressortaient comme neufs !

Les jours de fête, nous allions faire des cargolades ou des grillades ;

avec des amis de mes parents, monsieur et madame Sérina et leur fils Claude ; ils étaient expéditeurs tout près de la boulangerie.

Il y a eu la période de la guerre : comme paraît-il les Américains devaient débarquer dans le midi, beaucoup de Perpignanais avaient envoyé leurs enfants dans les villages du département. Mes parents avec madame Sérina avaient loué une maison à Paziols, dans l’Aude ; elle avait des amis la-bas, Madame Sirven : ils nous avaient installés dans une grande maison, avec Carmen qui nous gardait, Francine, Claude et moi !

Je venais juste de rentrer en sixième, et nous sommes partis à Paziols au mois de janvier. On m’avait inscrite à l’école du village. Nous avons passé cinq ou six mois merveilleux, car nous étions beaucoup plus libres qu’à Perpignan, je rodais un peu partout dans le village avec les amis de l’école, je faisais même du théâtre dans la remise !

Chez madame Sirven, on tuait le cochon, elle faisait de la charcuterie, et surtout des pâtés fins… délicieux !

Chez elle, il y avait aussi une immense bibliothèque qu’elle m’avait permis de ranger…. J’adorais les livres…. Il n’y en avait pas chez nous. Le dimanche, on allait à la messe, et je me souviens d’un dimanche de Rameaux, Carmen avait garni le rameau de Francine avec des chocolats, mais là-bas ça ne se faisait pas ! Je suis revenue très en colère car les enfants s’étaient moqué de moi, et avaient essayé de nous prendre les gourmandises !

A la bonne saison, il y avait bal sur le toit de la coopérative ; il ne fallait pas trop éclairer, pour ne pas nous faire repérer ; je trouvais ça formidable ! J’avais aussi un petit amoureux, Jeannot, dont je ne me souviens pas du nom. Mon amie Suzanne était venue passer quelques jours avec nous, nous étions montées au grenier, et avec des draps avions fait les fantômes. Ce fut une période agréable.

Nous sommes restés à Paziols de janvier à juillet-août ; ce qui fait qu’à la libération de Perpignan, nous étions rentrés ; quand on a commencé à tirer dans les rues de la ville, avec mes parents, nous sommes partis à la petite maison où habitait ma grand-mère en pleine campagne … Le lendemain matin, nous avons retrouvé la boulangerie.

Pendant la période des restrictions, mon père et mon oncle François, qui avait un grand jardin derrière sa maison, élevaient deux cochons.

Puis il y avait le jour ou toute la famille se réunissait pour les tuer et préparer saucisses, boudins, pâtés, jambons etc.… c’étaient des journées très animées !

A cette époque là, je restais souvent deux ou trois jours chez eux, avec mon cousin Claude, on faisait des cabanes dans le jardin sous les tas de sarments ; un jour, je n’ai rien trouvé de mieux que de mettre des piments qui étaient dans une coupe, sur chacun de mes doigts, comme des gants. Après j’ai touché ma bouche et bien sûr, ça brûlait, ils ne savaient comment me calmer, eau, beurre etc.... je me suis fait gronder !

Pendant toute cette période, nous étions très proches des Anglès du Vernet. Chaque dimanche, nous déjeunions ensemble chez chacun à tour de rôle, nous partions à pied de l’avenue commandant Soubielle, jusqu’au haut Vernet, leur boulangerie était face au stade Gilbert Brutus : nous descendions toute l’avenue Joffre en poussant le landau de Francine. C’était long… nous ne le ferions pas maintenant ! Et le soir bien sûr, en sens inverse !

Pour aller au lycée aussi, je faisais le trajet quatre fois par jour et les jours d’hiver, avec la tramontane glaciale, passer le pont Joffre c’était terrible !

Dans notre quartier habitait le sculpteur Manalt ; il nous avait invités à aller voir son atelier … j’étais émerveillée, il y avait des statues immenses qui touchaient presque le plafond ; quand je l’ai connu, c’était un petit homme paralysé, il se déplaçait en fauteuil roulant ; il m’aimait bien, il m’avait dédicacé la photo d’une de ses œuvres « enfant aux cymbales » et m’avait offert un livre sur les vieilles coutumes de Perpignan. Il y a trois ou quatre de ses sculptures au square.

Je n’ai pas parlé du « tram » ou plutôt du tramway, c’était toute une époque. Les familles n’avaient pas toutes des voitures. Alors, pour aller à Canet, il fallait prendre le tram. Sa gare de départ était face au cinéma Castillet ; il était formé de quatre ou cinq wagons, et les jours d’été, ils étaient remplis, et même plus, beaucoup se tenaient sur les marche-pieds. Il faisait la moitié du chemin, s’arrêtait et attendait celui qui arrivait de Canet, c’était le seul endroit où ils pouvaient se croiser. Et pendant l’attente, beaucoup descendaient cueillir des raisins dans les vignes qui bordaient la route, c’était folklorique !

Après la guerre, mes parents ont acheté une villa à Canet, pas très chère, car elle avait été construite avec beaucoup de matériaux de récupération des villas détruites par les allemands qui avaient fait des blockhaus le long du littoral en prévision d’un débarquement … qui ne s’est jamais produit ! Heureusement !

Cette villa est devenue le point de ralliement de toute la famille pendant les mois d’été.

La famille Laffont, c’est-à-dire tonton Jean et tata Nono, arrivaient souvent les premiers au mois de juillet, lui, il bricolait beaucoup et arrangeait tout ce qui n’allait pas ; ils prenaient Francine avec eux et à la fin de l’été, elle était bronzée! Ils passaient leurs journées sur la plage.

Le dimanche, j’allais les rejoindre avec mes parents.

Après, en août, c’était la famille Sabaté de Chalons sur Marne qui arrivait avec mon cousin Guy ; ils ont emmené ma cousine Andrée Fabre, dite Poupette, nous nous sommes connues nous avions quatorze ou quinze ans, nous sommes devenues très amies et avons passé des vacances formidables. : plage, pédalos, skirados, chansons, disques, etc.

   

La villa était toujours au complet, cousins et cousines s’ajoutaient souvent. Il y eut un soir une pluie de grenouilles, du jamais vu, après le repas du soir, nous nous promenions, ça sautait de tous les côtés...

Guy voulait en mettre une dans le lit de Francine, elle n’a pas apprécié et voulait prendre le tram pour rentrer à Perpignan, on a dû la raisonner.

Guy aimait bien taquiner ses cousines !

C’est après la guerre, aussi, que les bals de quartier ont commencé ; les gens avaient sans doute besoin de s’amuser après les années d’occupation. Dès les beaux jours, les quartiers organisaient des bals les uns après les autres, en fin de semaine, on ne disait pas encore « week-end » ! Avec Suzanne, nous allions à ceux qui étaient près de chez nous ; madame Salvat, la mère de Suzanne, nous a accompagné à deux grands bals… en robe longue, ne vous déplaise ! Le bal du Génie, et le bal de l’Harmonie, nous étions ravies et fières… surtout en robe longue !