les années glamour

Avec Suzanne, nous nous connaissions depuis la communion solennelle que nous avons faite en même temps.

Nous avons continué à aller à l’église, nous faisions partie des « Ames Vaillantes » un groupe dirigé par des sœurs et les demoiselles Dumas, qui nous emmenaient en promenade dans un grand parc qu’elles avaient au fond de la rue des Aspres prolongée, là où habitait ma grand-mère. Mes parents avaient acheté une petite maison pour elle, et l’avaient installée là, elle qui était habituée à vivre à saint Mathieu, en plein centre ville ! Je pense qu’elle a dû s’ennuyer ; heureusement elle gardait souvent avec elle Germaine ou Denise, mes cousines germaines.

Toujours avec Suzanne, nous sommes rentrées au collège ; avant nous avons dû passer l’examen d’entrée en sixième !

Pour aller passer mon examen au lycée Arago, ma mère m’avait fait faire un petit ensemble, jupe, chemisier, boléro, chez notre couturière attitrée Marinette… du luxe ! J’ai été reçue et j’ai fait mon entrée au lycée de jeunes filles, rue Emile Zola.

Après le premier trimestre, en Janvier, j’ai dû partir me réfugier à Paziols, comme je l’ai dit plus haut. J’ai dû redoubler la sixième, puisque je n’avais fait qu’un trimestre.

J’ai repris ma scolarité après les… vacances à Paziols !

Suzanne, qui était rentrée en même temps que moi, a dû partir au Mont-Dore pour le bon air, car elle avait eu une pleurésie ; nous avons été séparées pendant quelque temps.

A son retour, notre amitié a repris de plus belle ; quelquefois, nous faisions deux ou trois fois l’avenue pour nous raccompagner l’une l’autre, elle habitait une rue transversale à la mienne ; un jour où nous discutions devant la petite maison face à la boulangerie, Francine a pris une bouteille et est allé chercher de l’eau fraîche à la pompe qu’il y avait dans la cour... Malheureusement, en sortant, elle a trébuché et s’est ouvert le dessus de la lèvre, ça saignait beaucoup ; le docteur appelé par ma mère lui a mis plusieurs points à vif… Francine criait et pleurait, et ma mère n’arrêtait pas de me reprocher de ne pas l’avoir surveillée… c’était ma faute… le docteur a même fini par lui dire de me laisser tranquille, car je sanglotais sans pouvoir m’arrêter.

En y repensant, c’est elle qui aurait dû la voir quand elle a pris la bouteille… j’étais malade chaque fois que je lui portais le repas au lit et que je voyais cette cicatrice... je culpabilisais !

Je n’ai pas trop de souvenirs du lycée : le prof de français, mademoiselle Arcay, une vieille fille, avec chignon, jupe longue, et toujours un grand cabas de toile… elle m’avait demandé un jour des tickets de pain !

Il y avait aussi le prof d’anglais que j’aimais bien, mademoiselle Dedieu, très maquillée, coiffure au carré, petites lunettes rondes …

Je viens d’apprendre, il n’y a pas longtemps, par un article de journal, qu’elle avait participé activement à la résistance… à la voir, on ne l’aurait pas imaginé ! Il y avait aussi le prof de dessin, madame Poissonier, le prof de musique madame Joras ; je me souviens surtout des profs chahutés ! Ma scolarité fut médiocre dirons-nous !

Mes études se sont terminées en troisième ; c’est cette année là que j’ai connu Jean et que j’ai encore moins travaillé ! Il faut quand même dire que personne ne s’occupait de mon emploi du temps, ou de mes devoirs. Quand mon père s’est rendu compte que je rencontrais Jean en semaine, et vu mes résultats, il s’est mis très en colère, et a décidé que j’arrêtais là mes études et que j’allais apprendre la couture.


J’ai oublié de raconter comment j’avais connu Jean !

 

C’est bien sûr ma copine Suzanne qui, ayant fait la connaissance de Pierre et m’ayant emmenée au cinéma avec eux, a décidé de me faire connaître le frère jumeau, et après bien des hésitations, je me suis laissée convaincre …et c’est là que tout a commencé !

Tous les dimanches, nous nous retrouvions pour aller au cinéma, puis nous allions « faire la Loge », c’était la promenade de tous les jeunes, qui montaient et descendaient cette rue par petits groupes.

Petit à petit, Jean a fait ma conquête et il s’est passé plusieurs semaines avant le premier baiser ! A notre époque, cela paraît ridicule, c’était comme ça !

J’ai fait mon apprentissage de la couture chez madame Duculot, qui habitait dans la même rue que nous ; pas la possibilité de voir Jean en semaine ! Nous travaillions beaucoup, mais nous chantions aussi !

Elle m’a appris beaucoup, et m’a fait des robes et des manteaux très originaux, c’était couture !

Ma patronne avait un fils Gérard et une fille Chantal. Comme Gérard allait au Lycée Arago où était Jean, il a fait le facteur et, une ou deux fois par semaine il me portait des lettres, quelquefois de quatre ou cinq pages, je répondais, mais c’était beaucoup plus court bien sûr !

Finalement, ma patronne a arrêté la couture pour ouvrir une librairie face au lycée Arago ; Jean m’a offert plusieurs livres qu’il a achetés chez elle.

Elle m’a trouvé une place près de la cathédrale saint Jean, chez madame Gourbeau : c’était plutôt un magasin de tissus à l’étage, je ne cousais pas beaucoup, je faisais des nappes, des abats-jours, des fleurs en organdi noir, etc... ; nous décorions les pièces pour la vente, j’aimais beaucoup ; en plus, c’est le seul endroit où j’ai été payée !

Ma mère m’a ensuite trouvé une place plus près de la maison, où je faisais un peu plus de couture ; j’y suis restée jusqu'à mon mariage ; c’est d’ailleurs madame Bardou qui a fait ma robe de mariée.

A l’époque où je travaillais au centre ville, Jean venait souvent m’attendre à la sortie du travail, mais il n’était pas très libre, son père était très sévère, il fallait être rentré à sept heures. On ne riait pas beaucoup chez lui.

La première année où nous sommes sortis ensemble, pendant les vacances d’été, Jean est venu travailler chez un expéditeur, monsieur Borreil, qui était juste en face de la boulangerie. Le deuxième jour, il revenait après le repas au travail, sur le marche-pied du camion d’un ami, et en sautant, il a roulé sous les roues. J’étais juste devant la maison, pour le voir bien sûr ! Nous avons eu très peur ! On l’a ramené chez son ami, et le docteur Canet l’a vu et lui a dit qu’il avait seulement l’os du bassin fêlé. De retour chez lui, sa mère a appelé son médecin qui, lui, voulait l’opérer, ce qui ne lui a pas plu, elle a préféré s’en remettre au docteur Canet. Avec Suzanne, nous avons osé aller lui rendre visite chez lui et avons fait connaissance de sa mère.

Suzanne devait aller passer un mois dans un centre à Planès. Alors mon père, qui ne voyait pas d’un très bon œil mes sorties avec Jean, a décidé que j’irai avec elle, pensant ainsi me séparer de ce petit jeune homme. Nous voilà parties au « centre Béthanie », ce n’était pas super, mais nous étions heureuses d’être seules, sans les parents surtout !

Chaque jour, l’après-midi, nous allions jusqu’à Mont-Louis nous promener à pied, souvent à travers champs.

Le quinze août, c’était la fête de La Cabanasse, tout à côté. Jean et Pierre sont montés avec leurs parents chez des amis, où ils ont dormi. Nous, ravies qu’ils soient là, sommes restées danser à la fête puis allées voir mon cousin Isidore et sa femme Guiguite qui passaient leurs vacances là-bas ; ils nous ont gardé chez eux pour dormir. Mais nous n’avions pas prévenu le centre et le lendemain quand nous sommes rentrées, on nous a passé un sacré savon et on nous a donné des corvées à faire pendant quelques jours : vaisselle, aide à la cuisine, épluchage,… etc. C’est vrai que nous aurions dû prévenir, mais nous n’y avons pas pensé. Nous étions vraiment trop contentes d’être avec Pierre et Jean !

La séparation sur laquelle comptait mon père n’a pas été très efficace !

Je pense que c’est cette année là que nous sommes allés en vacances à Paris et à Châlons ; pendant notre séjour, mon cousin René m’a emmenée au théâtre de l’Etoile voir Edith Piaf, elle était formidable, à la fin tous les spectateurs étaient debout pour l’applaudir, c’était l’époque où elle chantait avec les compagnons de la chanson. En bonne provinciale je n’avais pas vu grand-chose. J’étais émerveillée !

Je n’ai pas parlé de mes cousins, je n’ai pas eu de frère mais j’ai eu des cousins très proches : toute petite, c’est avec mon cousin Michel que je m’amusais l’été quand il venait en vacances, et aussi avec mon cousin Claude Anglès, ils me taquinaient souvent et j’étais toujours en train de pleurer paraît-il. C’est avec Guy Sabaté que nous étions le plus proche, c’était mon grand frère, nous nous écrivions tout au long de l’année. J’aimais bien aussi René Fabre, le doux rêveur de la famille, quand il venait, on se promenait en chantant des chansons de Trenet ; il m’offrait des livres. Ce sont ces deux cousins qui m’ont fait aimer les livres, la lecture, et connaître beaucoup d’écrivains.

Quand nous étions à Canet tous réunis, j’avais eu un tourne-disque « Teppaz » en cadeau, le soir nous nous enfermions dans la véranda et pendant que les parents après le souper allaient se promener sur le bord de mer, nous écoutions des disques, les premiers Brassens, qui étaient osés pour l’époque, et bien sûr Trénet, Bécaud, Mouloudji, c’était super ! Mais surtout, nous étions jeunes !

Nous sommes sortis tous les dimanches avec Pierre et Suzanne pendant un an ou deux, puis, comme mes parents ne me laissaient sortir qu’après avoir débarrassé la table et fait la vaisselle, et comme nous dînions très tard, ils en ont eu assez de m’attendre.

Il y a eu la période bac ! Jean a échoué en juillet et en octobre, il a recommencé l’année suivante, et a raté à nouveau d’un point ! Il était vraiment au plus bas, chez lui, on ne lui a absolument rien dit, il a pris seul sa décision et est allé se faire inscrire au lycée technique « Al Sol » en section comptabilité.

Après ses échecs au bac, Jean était souvent triste et découragé, il avait un complexe d’infériorité, maintenant on dirait qu’il était dépressif, ses parents ne l’encourageaient pas beaucoup, il se réfugiait souvent chez sa grand-mère, qui habitait près de chez eux et qui l’avait gardé et soigné pendant sa première année ; car il était menu et très faible à la naissance, on ne savait pas s’il vivrait, elle l’a sans doute sauvé et il l’a toujours vénérée.

Nous sommes sortis ensemble pendant cinq ans, c’est long.

Nous ne sortions que le dimanche après-midi, jamais le soir, mon père était très sévère et le sien aussi, alors pas de couchage, c’est ridicule …quand on voit les mœurs d’aujourd’hui !

Suzanne et Pierre se sont mariés le 8 septembre 1951, un an avant nous. J’étais demoiselle d’honneur, avec Jean bien sûr !

Comme ils ne s’entendaient pas avec les parents de Pierre, ils sont partis en Algérie. Pierre y a travaillé comme instituteur. Je pense qu’ils ont eu du mal à s’installer et que la vie n’a pas été très facile pour eux la première année.

Ils sont revenus l’année suivante pour les vacances et pour assister à notre mariage.

Il a eu lieu le douze août 1952.

Nous nous étions fiancés, au printemps, à Canet ; petite fête, avec les parents de Jean, son frère Marcel, Carmen, mes parents et moi.

Après ses études de comptabilité, Jean est allé faire son stage à la banque Populaire. On l’a gardé, et quand il a été engagé définitivement, nous avons décidé de nous marier !

Avec le recul, je me rends compte que nous n’avions pas la moindre idée de la vie. Nous pensions que nous serions libres, mais nous n’avions rien à nous, pas la moindre petite cagnotte. Jean donnait son salaire à ses parents, et ils ne lui ont laissé que son dernier mois de paye, juste avant le mariage. C’est tout !