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Les délices de Dellys
....Et vous heures propices, Petite leçon d'orthographe en guise de prélude
: LES MOTS PÂQUE ET PÂQUES MAIS : Lorsque le mot Pâques (fête chrétienne)
est accompagné d’un adjectif, il est féminin
pluriel. Voilà ce qu'il fallait savoir avant de remonter encore le temps et de commencer à vous parler de certaines délices d'un soir de la Pâque 1954, donc avant le 1er novembre de la même année, date fatidique à partir de laquelle nulle sortie de cet ordre ne fut désormais possible. Nous voilà partis à bord de la 202 évidemment, ce Dimanche de la semaine de la Pâque, accompagnés des trois nèces de Maman, toutes à peu près du même âge parce que de parents différents: nous avons nommé Jacqueline, Jocelyne et Jeannie, toutes célibétaires, un peu moins Jeannie déjà un peu fiancée à André, qui nous accompagnait dans sa super 4 CV décapotable. Je n'étais jamais monté à bord d'une 4 CV et j'aurais bien voulu la tester un peu en observant le chauffeur, c'était ma spécialité. Mais toutes les places furent prises sans que personne ne me demandât mon avis..... Nous voilà donc en route, destination DELLYS, 150 kms à l'est d'Alger. C'est Papa et Maman qui avait choisi la destination car on connaissait parfaitement la côte Ouest, jusqu'à Tipaza même, en passant par Cherchell et Djidjelli, mais côté Est, après Fort de l'Eau à la rigueur Surcouf, rien du tout ! Tout le monde suivit volontiers l'idée, pourvu que l'on voit du paysage... Je ne me souviens pas de grand'chose de cette journée, vous excuserez quand même l'âge tendre du narrateur, sauf quelques points précis quand même, à part le fait que Caroline par miracle, nous avait laissés faire le voyage aller sans encombres...
D'abord un vague pique-nique en forêt, au bord de la route, sous le coup de 13 heures, mais là rien de moins ordinaire qu'un pique-nique ordinaire à Sidi-Ferruch. Papa ne cessait pas de répéter, repris en choeur par les trois filles: "On boit chaud, mais vous verrez ce soir...on boira frais"... C'est vrai que la bière et le selecto, tiédis par 3h et demi de route, c'était pas terrible.! Après une sieste sous les arbres et une simple visite à la plage de Dellys (la mer était houleuse et la température encore peu propice à la baignade), nous voilà dans le centre ville sous le coup des17 heures. Et puis voilà que notre 202, fidèle qu'à elle-même, se mit à chauffer dangereusement, avec pour témoin une aiguille de température largement dans la zone fatidique ! "Et voilà! C'était trop beau!", dit Papa en ouvrant le capot, sur un air de chanson comme qui dirait agacée.. "Ne touchez pas au bouchon du radiateur, c'est dangereux" avertit André.... On laissa donc refroidir le moteur à l'endroit même où on s'était arrêté, une place assez grande toute garnie d'arbres très feuillus, avec une grande fontaine circulaire au milieu qui dispensait à profusion une eau claire et fraîche venant des collines, et des bancs publics savamment répartis tout autour.. Un coin de paradis construit par quelques colons autour d'une ancienne casbah de l'époque ottomane (c'est ce que j'ai lu après). J'emmenais Ticharles en prospection non sans les recommandations d'usage de Maman, "pas très loin; 50 mètres à peine". Et là nos sandales se mirent à écraser des feuilles, des brassées de feuilles, pardon pas des feuilles (c'était pas la saison), mais plutôt des fleurs séchées pas le soleil. Il y en avait des tonnes provenant toutes de branches qui dépassaient des murets des maisons bâties sur tout le côté de la grand'rue. J'ai vite reconnu l'odeur, la même que celle du vendredi soir, lorsque le père de Maman avait accroché au lustre de sa salle à manger, d'énormes guirlandes de jasmin que les indigènes vendaient ce soir-là aux Juifs pour leur Chabat. Et oui, dans cette ville les jasmins étaient des arbres, des arbres vous dis-je, vous allez me croire quand même ! On en ramena des brassées à Maman et à toutes les filles qui poussèrent des cris, car elles eurent peur de la poussière sur leur robe printanière. Allez vouloir faire plaisir à ces dames, ma parole !!! Attendez ! Attendez ! Mais non, il n'y avait pas que des jasmins ! Des glycines aussi, des grappes énormes de glycines, qui avaient poussé sur des branches énormes, et ça s'était réservé à l'autre côté de la gran'd place. Déçus par notre première expérience,
nous gardâmes pour nous notre seconde découverte ; Troisième expérience, nous découvrîmes aussi qu'il y avait des orangers, de superbes orangers qui exhalaient le parfum fort et délicat à la fois d'une floraison plus que foisonnante. On en connaissait bien l'odeur, car lorsqu'on allait rendre visite aux Chicouri, de Boufarik jusqu'à Blida, on traversait 50 kms de plaine, toute plantées de rangées d'orangers, des rangées en files interminables; Et quand c'était le moment de la floraison, je vous dis pas le parfum que l'air de la course faisait pénétrer dans la voiture....On était imprégné, on baignait dedans.... Et encore que nos carreaux à l'arrière, on pouvait les baisser
que de 15 cm ! Encore une facétie de la 202, C'était l'empattement
des roues arrières, comme disait Papa; Un petit détail qui nous
a privés de biens des plaisirs dans nos promenades... C'est pas étonnant que l'Orangina soit né dans cette contrée ! Comment en eût-il pu être autrement, dirait-on avec notre accent à couper au couteau....! Des orangers de Boufarik, une officine de pharmacien espagnol à Blida, un Juif Bitoun pour lancer l'affaire pour qu'elle atterrisse là où y fallait, et voilà l'travail ! Un empire vous dis-je ! Nous, j' me rappelle qu'on a connu les premières bouteilles à secouer à La Madrague, sur les planches du Riva Bella, sous les premiers parasols de la marque, c'était au début des années 50 ... Qu'elle était belle notre Algérie ! Comme chantait
Line Monty en judéo-arabe... Et oui quand j'y pense, nos oranges inondaient toute l'Europe jusques même en Angleterre, et nous étions, comme disait Papa, le véritable grenier de tous, y compris l'URSS (ll savait de quoi il parlait, c'était son métier d'exporter les céréales: il nous disait que s'il y avait eu trop de gel ou d'inondations quelque part, le blé de printemps n'avait pas pu pousser, et c'est qui qu'on appelait au secours ? ...... Mais non; Georges Laskar, voyons, qui décomptait les wagons de blé arrivés de la Mitidja, prélevait des échantillons pour en vérifier la qualité, et faisait embarquer tout ça en cales de bateaux, destination la métropole ou l'étranger). Vous en voyez beaucoup vous aujourd'hui des oranges d'Algérie?
Même pas sur les marchés de Marseille ! Et voilà que des campagnes il ont migré vers les villes, que les grandes bien sûr, j'te dis pas l'ampleur de la population entassée dans des immeubles qui sont vite devenus vétustes, ...et des grandes villes vers la France...
Bon l'histoire on la connaît, mais c'est le propre des Pieds Noirs de ressasser justement leur histoire. Prenons un jasmin comme à Dellys, tu en arraches, c'est le mot, une bouture, cette bouture tu la plantes dans un pot, et ce pot tu l'expédies en Métropole, que croyez-vous qu'il advienne chers amis? Ce jasmin n'est devenu que l'ombre de lui-même, pâle, inodore et rabougri, il peine à végéter un tant soit peu, et tu voudrais qu'il oublie son soleil de là-bas ? Allez va ! > Comme aurait-dit Paulo, le jardinier du jardin Nelson, celui-là même qui est devenu le jardinier du Comte d'Arras après l'exode, que vous connaissez peut-être son histoire, mais que j'ai pas le temps de vous la raconter pour l'instant de toutes les façons, à l'occasion peut-être j'dis pas ! Comme aurait dit Paulo, donc, "Tu peux toujours planter quelque chose, si ça doit pousser, ça pousse, sinon, aouha, tu montes tu descends jamais ça poussera ! " Bon ! Revenons à nos savoureuses délices, car c'est le propre des souvenirs que de ressembler à ces écheveaux de laine que nous faisait tenir Maman entre les mains: elle tirait le bout et tout défilait à la suite... Nous voilà installés sur cette place devenue mémorial, prêts pour le repas du soir, et tant pis pour la panne de voiture ! Les adultes avaient installé une nappe sur un des bancs, sur laquelle on avait disposé de la vaisselle ( réservée à la Pâque évidemment, et puis qu'à l'époque la vaisselle de camping était encore en zinc), et Maman disposa toute la nourriture qu'on avait prévue spécialement pour le soir: autour de la galette oranaise au vin, Ticharles et moi on pouvait manger déjà des yeux (on avait une faim j'te dis pas) : - Les tranches d'une énorme langue fumée spécialement préparée par Mémé pour la fête, - Un énorme fromage de Hollande, oui mais de l'étuvé qu'on ne trouvait qu'à l'occasion de Pessah, envoyé par le consistoire d' Amsterdam, et que papa achetait chez Momo l'épicier juif de la rue Géricault, mais oui sous les arcades en descendant, même que c'est le Moutchou qui a racheté son commerce à sa femme quand il est décédé ! - L'incontournable fromage d'Oran, on dirait aujourd'hui une espèce de brousse, mais en beaucoup plus salé, très salé, et beaucoup plus frais et humide, la preuve c'est qu'on l'achetait qu'il baignait encore dans son eau Précisons quand même que pour ne pas faire tomber dans l'erreur certains ignorants qui se voudraient devenir religieux, allez savoir, précisons, dis-je qu'à Alger, on pratiquait le mélange des genres, je veux dire le fromage et la viande. Certains esprits affûtés mais grisés par les flots d'anisette qui coulaient pendant les soirs de "ziaras", avaient dû prendre le commandement au pied de la lettre: ne pas cuire le veau dans le lait de sa mère certes, mais vous voyez bien que ce n'est pas le cas, enfin ! - Et bien sûr le saucisson de Pâques (de la Pâque pardon, j'te jure j'arrive pas à m'y faire) acheté aussi chez Momo. Ce saucisson là, il était spécial : ma parole, il avait l'air et la couleur d'un saucisson sec, très coloré et tout , mais quand tu mordais, c'était un saucisson presque frais au goût fumé et poivré...Allez savoir, p'têt qu'ils le préparait juste la veille de la fête, pendant le carême des aînés ils avaient tout leur temps, peut-être, peut-être, je sais pas moi ! - Le tout accompagné des variantes maison au vinaigre, (Ticharles il rafflait invariantement tous les fenouils, et moi les bouquets de choux-fleurs !) Je sais pas si c'était l'ambiance magique de cette ville,
l'époque propice de cette belle fête, la Pâque
(vous voyez que c'est bien quand même, on comprend tout de
suite que c'est la pâque juive), mais ce fut un vrai banquet,
chacun prenant son assiette en la remplissant au maximum de tout
ce qui lui était offert et en l'emportant vers un banc voisin. Mais le comble du divin arriva à la fin, avec les pots de
"sfériess" que maman fit circuler parmi les convives; Mais ces sfériess là, tous ronds, tous égaux entre eux, magnifiques boules baignant dans leur sirop, je vous raconte pas comment on s'est jeté dessus. C'est bien simple, je pense qu'un sfériess comme ça aurait pu, et je dis même aurait dû, être déposé au pavillon de Sèvres, dans un bocal à côté du mètre et du litre) des fois qu'une belle-fille aurait pris l'initiative de faire des sfériess à sa façon, genre baba à la chantilly ça fait plus chic, et que la recette se perde une fois loin d'Alger ! J'en tremble ! Voilà, je vous raconte pas le retour à minuit parce que je dormais; Ce que j'ai appris par la suite, c'est que Caroline avait son radiateur qui fuyait et que Papa a dû s'arrêter presque toutes demi-heures afin de remplir ses bidons dans les localités traversées, Je ne me suis rendormi que lorsqu'on m'a glissé dans mes
draps: Cela aussi fut le délice, ce plaisir de se rendormir
tel qu'on aura plus jamais à l'âge adulte....
Dellys, le soir
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