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En guise d'épilogue
J'aurais été un écrivain averti, je vous aurais écris tout ça sur 300 pages, avec des analyses de sentiments très profondes, des descriptions de paysages et de monuments très en détails, avec des phrases très Proustiennes d'une demi page, même que j'aurais fait passer le manuscrit chez Flammarion ou chez Grasset et qu'ils auraient fait éditer mes mémoires, allez 30 000 exemplaires peut-être ? Je serais passé à la télé, le soir à 11 heures chez Poivrot d'Abord, et puis plus personne n'aurait plus entendu parler de moi... Alors voilà, j'ai préféré que tout cela reste en petit comité, un cercle restreint pour ainsi dire avec seulement un fascicule de 25 pages maximum, juste les parents et certains amis qui ont connu Bab el Oued, qui ça peut intéresser d'autres, à part ceux que j'vous ai dit ? Les Français d'ici, tu les vois tous fermer les volets à 7 heures du soir, qu'y a rien qui les intéresse du dehors, et que tu sais même pas qui c'est qui habite en face, les voisins de ton immeuble tout juste et encore ! Tout repliés qu'ils sont ceux-là, et avec les frontières grand' ouvertes, j'vous dis pas le ventre mou que ça fait pour toutes les communautés ! A part les martiens jv'ois pas qui d'autre pourrait encore s'installer ici, sans même qu'on s'en soit aperçu .... J'vous ai, certes, fait moi aussi des phrases longues d'une demi page ou presque, mais c'était pour faire mieux le langage pataouète: vous croyez pas que j'allais m' prendre la tête pour vous raconter tout ça non ? Voilà, j'vous ai écrit comme j'vous aurais parlé, au fur et à mesure des souvenirs comme ils venaient. Pour ce qui est des souvenirs qui arrivent comme ça en désordre, comme tout le monde sait, si c'était moi j'aimerais que nos mémoires à tous elles restent figées sur un souvenir particulier joli, apaisant et tout, à propos d'Alger, et rien d'autre. Voilà, pour moi par exemple, moi je me concentrerais sur le bal annuel de Nelson qui se passait juste en bas de chez nous de 21 h jusqu'à l'aube. Imaginez un orchestre brésiliano cubain (les pieds noirs adoraient ça) : 20 musiciens au moins en pantalon noir et chemisier fushia avec plastron et manches bouffantes, tous devant leur pupitre frappé au blason d'Alger...Au devant de la scène construite en dur spécialement pour cet usage, une chanteuse à maracas et robe longue assortie aux couleurs de l'orchestre...Sur le coté, une paire d'énormes cungas, à l'opposé un piano à queue blanc et au milieu tous les cuivres possibles, les violons et tout et tout... Ajoutez les projecteurs et une solide sono agencée dans presque tous les arbres, un rythme de folie tout en mambos, cha chas, tangos, sambas, et on voyait les couples se trémousser autour des palmiers... Pour rien au monde on aurait raté ça. Des fois, il prenait l'envie à Papa et Maman d'esquisser un pas de danse dans la salle à manger, surtout quand on jouait un tango. On était tous assis au balcon, et même Pipop restait éveillée pour l'occasion. Maman nous servaient des boissons fraîches et on écrasait les coques de cacahuettes grillées toutes chaudes qu'on dégustait avec une ou deux boites de halva Le Lion... Dans tous les immeubles qui entouraient le square c'était pareil, tous les balcons étaient pleins du premier au dernier étage, toutes les familles entassées dehors comme ça, on aurait dit les loges d'un gigantesque opéra en plein air, avec applaudissement général entre les morceaux et tout ! Inoubliable... On finissait, très tard quand même, à aller se coucher, et on s'endormait, fenêtres grand'ouvertes, aux accents de l'orchestre qui n'était pas encore, loin de là, au bout de son répertoire...
Un pur instant de vrai bonheur !!! Tellement de bonheur que l'on n'a plus à se demander où sont tous ceux que l'on a arrachés trop tôt comme ça à leur pays. Où sont donc aujourd'hui les Azzopardi, les Falcone, les Papalardo, les Costagliola, où sont les Martinez, les Jimenez, les Garcia, les Soliveres, où sont les Cherki, les Dadoun, les Kanoui, les Khémis ? Que croyez-vous ? Une fois enterrés et à peine pleurés par leurs proches descendants, ils sont tous repartis là-bas, se repaître d'une terre tant aimée et dont ils avaient gardé un goût insatisfait.
Si vous saviez regarder, vous les verriez, de nuit de préférence pour éviter les cohues, à roder autour de leur ville, de leur quartier, de leur habitation. Vous les verriez, taper une discute toute silencieuse à un coin de rue, sous les arcades ou dans un square, à abattre des cartes quelque part en vociférations muettes, et même à humer l'air du large sur le boulevard Front de Mer... Et si vous saviez écouter, vous entendriez les femmes aux fenêtres bavarder avec les voisines, l'hiver à travers le souffle du vent d'est, et l'été à travers le bruissement des aîles des grillons, tandis qu'elles font semblant d'étendre un linge invisible dans des gestes acquis depuis de générations... Quand ils en seront entièrement repus de cette terre qui était la leur, enfin ils partiront prendre leur petite part d'éternité. Allez les copains ! Bouchara, Picone et Djian, vous avez entendu ça ? Alors rendez-vous aux Trois-Horloges et soyez à l'heure, il paraît qu'ils vont repasser les Vikings avev Kirk Douglas et Tony Curtis au Majestic...
Cette fois-ci on emmenera pas Ticharles, il a tout son temps celui-là ! Minute, minute, je n'ai pas terminé, j'aimerais vous faire profiter d'un petit poème anonyme et sans prétention reçu dans ma boîte mail, et que j'avais conservé pour une occasion propice :
Les "PIEDS NOIRS" ...... ( avec HONNEUR et GLOIRE ) Celui qui est né en Amérique est un Américain.
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Enrico Macias - J'ai quitté mon pays | ||||
Enrico Macias - ma maison | ||||
Laura et Anton - Etranger Au Paradis | ||||
Helie Denoix de Saint Marc - Que dire à un jeune de 20 ans | ||||
Promenade à Alger en 1960 | ||||
El Gusto | ||||