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L'Algérie de Jacky
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1914, une bonne année ?

Yona était né le 28 novembre 1914.

Ça démarrait mal.

Jaurès avait été assassiné le 31 juillet et l’Allemagne avait déclaré la guerre à la France le premier août de cette même année. La guerre avait commencé dans les flonflons et l’enthousiasme général mais ce 28 novembre, le moral était retombé. Quelques oncles avaient été mobilisés et se battaient là-bas, sur le sol français, sur le continent. Enfin, l’autre continent. Dans la métropole, comme on disait.

Oui, Yona n’était pas né en France, mais quand même en France. Enfin, en Algérie française. En cette année 1914, l’attachement de l’Algérie à la France était indestructible. Sa famille était cent pour cent française. Bien que. Bien que leurs origines soient purement attachées à cette terre d’Algérie qu’ils habitaient bien avant l’arrivée des français. Depuis l’inquisition espagnole, les années 1500, peut-être. Mais depuis 1870, la famille était française. Bien française. Le grand-père de Yona avait même fait la guerre de 70. Marin à Toulon. Sur le continent, enfin, l’autre continent.

Oui, Yona était né français en Algérie, parce que Yona était juif. Juif d’Algérie. Donc français. A 100%. Même plus. Français depuis ses grands-parents. Et bien que français, il ne s’appelait pas Jean Martin, mais Yona Laskar. Ou plutôt Jona Laskar. Oui. Ce sera seulement à l’âge de soixante-dix ans que Jona découvrira que son prénom se prononce Yona. Son père avait dû le déclarer « Yona » et l’employé de la mairie, sans doute un espagnol, il y avait tellement de nationalités d’origine ici en Algérie, l’avait retranscrit à l’espagnol. Jona.

C’est seulement à soixante-dix ans que Jona se mit à aimer son prénom Yona. Il n’avait jamais aimé Jona. Il aurait préféré carrément Jonas. Mais bon. Jona. Alors il se faisait appeler Georges. Tout le monde disait « Jo ». Ca simplifiait. C’était comme son patronyme. Laskar. L.a.s.k.a.r. Ce « k », ça faisait bizarre.

Son père Jacob s’appelait Laskar. Normal. Mais son grand-père Yeschoua et tous ses oncles s’appelaient Lachkar. Seul son père Jacob avait perdu le ch. Comment ? Mystère. L’employé de la mairie, sans doute un maltais, il y avait tellement de nationalités d’origine ici en Algérie, l’avait retranscrit avec un s au lieu du ch. Laskar. Et pour compliquer les choses, son grand-père Yeschoua Lashkar s’était marié avec une Myriam Lascar. Lascar avec un c et sans h. Et l’un de leur fils s’appelait Laskar… Allez comprendre. Et un des frères de Jacob s’est marié avec une Lancar !

Bon. Mais ce K allait revêtir une grande importance dans son histoire. Ce K lui sauverait la vie. En 1940. Oui. Pendant la deuxième guerre mondiale, celle avec les Nazis. Mais n’anticipons pas.

La guerre, la première, celle de 14-18, oui, revenons à notre chronologie, se déroulait loin d’Alger. Les nouvelles arrivaient vite. Parfois bonnes. Souvent mauvaises. On les savait vite à la maison, parce que le père Jacob Laskar travaillait dans un journal. « L’Algérie ». C’était le nom du journal. Il était comptable. Enfin il était aide-comptable et ça gagnait pas gros, un aide-comptable. Alors, il travaillait le soir pour des propriétaires. Il allait recueillir les loyers hebdomadaires. C’était parfois dur quand les gens étaient un peu justes. Mais il n’employait jamais la force. Ce n’était pas un costaud. Il était plutôt frêle. D’ailleurs, il était aussi jockey. C’est dire s’il n’était pas une armoire.


Jacob s’appelait Laskar Sa mère s’appelait Fortunée Benyounès

C’était la guerre. Jacob, le père de Yona et ses deux frères étaient enrôlés. Ils se battaient quelque part en France, sur le continent. L’autre continent. Mais ça ne dura pas longtemps. A la naissance de son troisième enfant, Jacob fut libéré. Il était aussi chargé de famille. De ses parents, trop vieux pour travailler, mais ne touchant pas de retraite. Et oui ! A l’époque, il n’y avait pas de retraite. Ca n’existait tout simplement pas. Avec beaucoup de chance, les trois frères étaient revenus sains et saufs.

C’était la guerre. Yona grandissait. Si vous voulez bien, nous allons l’appeler Jona jusqu’à ses soixante-dix ans. Ce sera plus conforme. La guerre se déroulait loin d’Alger, mais il y avait des restrictions. Il fallait envoyer des vivres à la métropole. Le pays était en guerre, et bien qu’on ne s’y battait pas, l’Algérie était en guerre. Bon. En guerre comme la Corse ou la Bretagne. A l’époque, les guerres se déroulaient vraiment sur le front. On ne bombardait pas les civils à l’arrière. Pas encore. Mais n’anticipons pas.

Jona grandissait. Il aimait ses parents, sa famille bien sûr, mais il adorait surtout sa grand-mère. Sa mère s’appelait Fortunée Benyounès. Benyounès, ça voulait dire fils de Younès ou Yonès. Il s’appelait donc Yona fils de Yonès. Etonnant, non ? Il appelait sa grand-mère Man’Yonès.

Il adorait Man’Yonès. A chaque fois que ça chauffait un peu avec son père, et Dieu sait que ça arrivait souvent, il allait se réfugier chez Man’Yonès.

 

 

Maurice Chevalier - Dans la vie faut pas s'en faire