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Betrayal

 

L’enfant était joyeuse.

Elle marchait, tenant la main de sa mère d’un côté et de l’autre un vilain petit sac en toile grise, qu’elle avait vu sa mère confectionner la veille. Joyeuse, car sa mère lui avait dit qu’elle allait passer la journée avec les deux femmes qu’en dehors de sa mère, elle aimait le plus, sa tata Georgette et la maman de celle-ci, mémé Lala. Pourquoi Lala, parce que c’est ainsi qu’elle avait baptisé cette vieille dame qui lui chantait tout le temps des chansons de sa jeunesse. Mémé Lala la prenait sur ses genoux et lui apprenait, avec beaucoup de patience des chansons « Cadet Roussel à trois maisons ou Malbrough s’en va en guerre ». Ou la vie en rose, rose, sa couleur préférée.

Donc en route, de bon matin, pour une journée de plaisir, accompagnée de ce vilain petit sac de toile grise qui ne pesait rien.

En descendant la rue Montaigne, sa maman s’arrêta brièvement chez le droguiste, pour dire bonjour, puis chez le marchand de lait mais quand elles atteignirent le jardin Marengo, bien connu de la petite fille depuis qu’elle était bébé, maman refusa d’y faire un tour, expliquant qu’elles n’avaient pas le temps. Bon, pensa l’enfant, les parents ont toujours raison.

Au bout de la rue elles descendirent les escaliers qui menaient au boulevard où passait le tramway, se dirigeant vers un immeuble, situé près d’un autre jardin que la petite aimait aussi beaucoup, le square Guillemin, car le balcon de tata Georgette donnait sur ce square et on y avait du cinquième étage où elle habitait, une vue plongeante, y compris du marchand d’oublis, ces gaufres délicieuses qu’il sortait d’une sorte de grand tambour.

Mais là n’était pas la destinée, ce matin-là, de la petite fille.

La voilà, sa mère et elle, entrant dans le couloir sombre de l’immeuble en rez-de-chaussée. Un rez-de-chaussée plein d’enfants, or la gamine étant très sauvage, elle n’aimait pas les enfants, surtout de son âge. Et voilà que l’un d’eux, un petit garçon aux cheveux roux, se met à sangloter, en appelant sa maman dont il ne veut pas lâcher la main, et là, instantanément, elle comprend que sa mère, elle aussi, compte l’abandonner à la femme aux cheveux gris qui fait entrer les enfants un par un, dans cet appartement du rez-de-chaussée dont elle ne voit rien, trop petite à trois ans et demi pour voir au-delà des corps d’enfants qui sont devant elle. Et voilà que le chignon gris commence à appeler des noms, l’entrée de l’immeuble se vidant peu à peu, jusqu’au moment où on appelle son nom et où maman lui lâche la main et le pousse vers le chignon. La gamine ne veut rien entendre, elle a peur. Où sont tata Georgette et mémé Lala ? Elle hurle, car sa mère s’enfuit l’abandonnant là, au milieu d’étrangers. Elle hurle. Alors le chignon la soulève et la retournant lui donne une bonne fessée, tout en lui disant « maintenant tu sais pourquoi tu pleures. »

Je m’en souviens comme si c’était hier, l’humiliation, tout le monde a vu ma culotte Petit Bateau. Quelle honte. Et quelle colère. Pourquoi l’avoir bernée ainsi ?

Et comment et par quel destin, après un tel début scolaire ai-je pu me retrouver professeur ? Ou bien c’est ainsi que j’ai appris à retourner les situations difficiles à mon avantage. Mais, de toute ma vie le souvenir de cette entrée en classe ne m’a jamais quittée.

Londres, le 11 janvier 2021

 

 

 

Sidney Bechet - Si tu vois ma mère