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Les pompes funèbres

 

Tragi-comique

Mon amie Michelle et moi étions si bavardes et si débiles que nous retrouver le matin à 8h45 pour nous rendre au lycée était un vrai plaisir. Nous avions toutes les deux un sens de l’humour très spécial qui consistait (nous étions en terminale section philo), à nous inventer des thèmes de discussion hautement philosophiques dans le style du dessinateur Sempé. Si vous ne l’avez pas connu faites-vous aider par Vikipedia.

Donc, ce matin-là, je l’avais retrouvée devant le café de son père qui était au bas de ma rue. Et nous voilà, marchant et devisant toute absorbées par nos conneries et sans nous rendre compte que l’avenue était bien calme ce jour-là. Et pour cause.

Nous arrivons devant le portail du lycée rue Lazerges, il est fermé. Sans trop réfléchir, nous disant, bon, on est en retard, on en a pour 4 heures de colle Jeudi, nous arrivons devant l’entrée de la Directrice, fermée bien sûr, en ces temps de guerre, tout était sous verrous. On sonne, On nous ouvre, La « Dirlo » en personne. Elle nous tire à l’intérieur et nous engueule. « Mais vous êtes inconscientes et vos parents aussi, qu’est-ce que vous faites là ? Le couvre-feu a été de déclaré « Ah bon » qu’on fait Michelle et moi, en cœur. J’ai bien cru qu’elle allait nous tirer une gifle à chacune, vu qu’elle nous connaissait pour « foutre le bordel » comme on dit poliment.

Et là-dessus, incroyable mais vrai, on s’est dit après qu’elle avait, soit perdu la tête, soit qu’elle voulait se débarrasser de nous, trop encombrantes, définitivement, elle nous a dit, craché-juré, « dépêchez-vous de rentrer chez vous ».

Là, c’est sûr, on avait vraiment comme disait ma marraine, parisienne de naissance, « le trouillomètre à zéro ».

Et nous voilà remontant l’avenue de la Bouzaréah à 100 à l’heure. Facile pour Michelle qui était très sportive, plus difficile pour moi, toujours mollassonne, comme elle disait, mais ce jour-là je me suis surpassée. Tête basse et sans regarder autour de nous comme les chats quand ils ne veulent pas nous voir, nous arrivons au petit jardin Guillemin, a mis chemin de chez nous. Et la !!!!

Coup de feu, si proche que j’ai pensé je suis morte ou elle est morte. J’ai regardé Michelle, elle était verte et moi aussi sans doute, en moins d’une seconde je me suis retournée, et derrière nous, allongé de tout son long et le sang qui coulait un homme (je ne dis pas qui) et un long couteau à la main.

On s’est mise à courir comme deux folles cherchant un endroit où nous cacher, tout était fermé, sauf une boutique à côté de ma petite école maternelle. On se précipite. Et à ce moment-là Michelle s’écroule, moi j’ai pas réagi, je ne suis pas chrétienne, mais il y avait une énorme croix couverte de fleurs. Vous l’avez compris le seul magasin ouvert c’était un magasin de pompes funèbres, à côté de l’école Alberti.

Ils ont été très gentils, ils nous ont donné à boire après avoir verrouillé la porte cette fois, porte qui nous avait sauvées.

On est restées à attendre la levée du couvre-feu après avoir téléphoné aux parents. Mon père était prêt à aller descendre la directrice avec l’aide du papa de Michelle.

Et bien entendu on voulait comprendre ce coup de feu. Il y a eu enquête. Il y avait eu mort d’homme. Le commissaire a expliqué qu’un jeune soldat se trouvait en patrouille de l’autre côté de l’avenue, a vu le gars sauter des buissons qui faisaient le tour du jardin Guillemin, il a compris ce qu’il allait faire et a tiré.

A l’enquête il a dit qu’il avait eu de la chance, et nous aussi, parce qu’il n’avait pas été sûr de ne pas atteindre une des deux filles. Nous !

Après ça on n’est plus retournées au lycée et pour cause c’était un mois avant l’indépendance.

Quand on s’est retrouvées à Marseille, Michelle m’a dit, tout en riant, « on a bien faillit crever ensemble mais la haut on aurait continué à faire les c…..s », et le fou rire nous a repris, on l’avait perdu depuis des mois.

La peur, physique, nous sauve, l’autre est plus insidieuse.

Londres le 23 Mai 2021

 

 

 

Little Richard - Lucille