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Le bus

 

C’était l’année du bac. Étant nulle en espagnol notre prof avait conseillé à mon père des leçons particulières, une heure par semaine, à son domicile, de l’autre côté de notre ville, dans un quartier chic, aux belles boutiques. Le tarif d’une heure de leçon particulière m’aurait permis d’acheter les chaussures que je convoitais depuis que je les avais vues dans « Elle » mon magazine préféré. C’est mon faible, j’aime les chaussures.

Malgré l’extravagance du prix de la leçon, elle était agrégée, je ne vous en dis pas plus, mon père décida que le résultat du bac en dépendant en partie, il ferait le sacrifice.

À la première leçon, et à ma grande surprise, Anne Marie, une de mes camarades de classe est là pour la leçon. On s’est regardées, la leçon n’étant pas si particulière que ça.

Anne Marie était charmante, étoile du corps de ballet de notre petite ville, sosie de Brigitte Bardot, son petit ami qui en était fou venait la chercher à la sortie du lycée dans sa voiture, une décapotable. Nous en restions « baba ».

Mais les études c’était pas son fort et l’espagnol, le dernier de ses soucis. Mais voilà, elle aussi voulait le bac. Et voilà donc que semaines après semaines, nous nous retrouvons le Jeudi après-midi à 16 heures précises chez Madame G, relisant et essayant de traduire le manuel de l’année précédente, n’y comprenant toujours rien, mais on prenait des notes. Au bout de trois mois j’en avais plus qu’assez. J’ai dit à mon père que c’était de l’argent gaspillé et que s’il me donnait l’argent des leçons je lui garantissais que mes notes n’allaient pas redescendre. Comment en es tu sûre m’a-t-il dit. C’est simple papa, après un tel investissement je doute qu’elle me mette moins que la moyenne au prochain contrôle.

Bon, nous y voilà, il fallait bien que je situe la scène.

Ce jour-là, Anne Marie et moi revenions de notre cours pour une dernière fois. Nous avions, de concert, décidé que nos parents respectifs devaient en aviser le prof. Il est 5 heures et nous allons prendre le bus pour rentrer chez nous. Or l’arrêt du bus se trouve devant une boutique de sacs et de chaussures des plus magnifiques.
Je me plante devant la vitrine et me demande lesquelles choisir Jeudi prochain ou j’ai bien décidé de revenir parce que, j’ignore pourquoi, mais la boutique est fermée. Si vous vous demandez depuis le début quel était le prix de la leçon, 40.000 anciens francs, multipliez ça par deux, ça valait le coup d’être prof agrégé à l’époque pour des leçons si particulières qu’on n’apprenait rien.

Nous voilà donc à l’arrêt du bus, moi plantée devant la vitrine et Anne Marie de me crier que notre bus arrive. Et moi de lui répondre qu’il y en aurait un autre dans quelques minutes. Parce que mon choix est déjà fait, je rentrerai dans la boutique et m’adressant à une des vendeuses je lui demanderai le prix des chaussures de mon Choix. Et si le prix est exorbitant, et s’ils n’ont pas ma taille. Aléa jacta est. Pendant un bref moment je les aurai aux pieds.

Anne Marie piétine, elle me fait la gueule mais voilà le bus. Nous y montons. Cent, cent cinquante mètres. 15 secondes et BOUM. On est à l’arrêt, le bus devant nous vient de sauter, une grenade y a explosé, en fait on ne sait pas vraiment ce qui s’est passé, sinon qu’il y avait eu un Attentat.

On est descendues du bus les jambes moles. Il y avait beaucoup de blessés, surtout beaucoup de jeunes, certains couverts de sang, l’horreur. J’en parle aujourd’hui, mais j’ai eu du mal à en parler pendant vingt ans.

Quand finalement on a pu rentrer chez nous et que j’ai raconté ce qui s’était passé à ma mère, elle n’a plus hésité à propos des leçons. « Tu n’y vas plus ».

Le lendemain au lycée Anne Marie m’a dit : « à partir de maintenant quand tu as une de tes lubies, je suivrai » Je ne suis jamais retournée au magasin de chaussures, ni aux leçons d’espagnol, mais quand quelque chose me retient d’y aller.... je n’y vais PAS.

Londres 16 Mars 2021
Ps mon témoin, Anne Marie a abandonné la danse, a épousé son amoureux et son frère tenait une boutique d’antiquités, rue Paradis à Marseille dans les années 70.

 

 

 

Paul Anka - Crazy Love