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Youyou
Les chiens ont-ils une âme ? Youyou. Quand ma mère a rencontré Youyou pour la première fois il lui a été présenté par sa belle-mère, le mère de mon père. Elle lui a dit : « voilà le frère de votre mari, le plus jeune de mes fils », elle qui en avait eu 10. Mon père avait rencontré Youyou à la sortie d’un bar de la ville, le Tantonville. Youyou l’avait suivi jusque chez ma grand-mère. Mon père en tramway, Youyou courant derrière. Il n’avait peur de rien. En tout de 5 à 6 kilomètres. Et depuis il ne l’avait plus quitté. Ma mère adorait les animaux et surtout les chiens. Youyou n’était qu’un petit bâtard avec une immense personnalité. Ma mère ne savait jamais s’il serait là ou non au repas de midi. Midi pile, il se mettait devant la porte d’entrée et aboyait pour qu’on la lui ouvre. De là, il dévalait les cinq étages tout en jappant, sans que les voisins s’en offusquent. Au contraire il était accompagné de remarques telles que: « Merci fils, avec toi pas besoin de montre », ou de « Alors tu manges chez toi aujourd’hui ? » Il faut vous dire que dès qu’il avait retrouvé son « frère » au tram, soit il l’accompagnait à la maison soit il se tirait. Parce que Youyou avait le palais délicat et ma mère jeune n’était pas très bonne cuisinière. Alors il faisait son tour de piste comme un voyageur de commerce. D’abord retour à la case zéro, chez ma grand-mère, 5 étages en trou de l’air, pour voir ce qu’elle allait lui offrir à manger. Si ça allait, il restait et comme il faisait souvent chaud il aimait faire la sieste dans le long couloir de mémé entre la cuisine à un bout et la salle à manger à l’autre où il y avait toujours moyen d’un petit courant d’air. Et la récompense après la sieste c’était un petit biscuit fait maison, biscuit à la cannelle, qui lui faisait faire des folies. J’ai parlé d’un représentant de commerce faisant sa ronde de démarchage, c’était Youyou. Près de chez mémé, rue Desmoulins, il y avait la cousine de maman, tante Suzanne. Elle aussi aimait ce chien et le gardait à déjeuner. Il était très intelligent et savait se faire comprendre. Il avait compris le coup de l’ascenseur chez mon autre grand-mère, mamie. Il attendait devant l’ascenseur que quelqu’un s’en approche. Et là, d’un regard, soit plein d’adoration, soit mourant il faisait comprendre que sa reconnaissance serait éternelle à celui ou celle qui l’aiderait. Maintenant, direz-vous, qu’est-ce qu’elle ne va pas inventer. Mais non, sachez que dans la famille, tous ceux qu’il aimait avait un appartement au cinquième. Allez savoir pourquoi ? Plus près du bon Dieu ? Une meilleure vue sur la mer ? Le hasard. Une exception, tata Mireille, belle-sœur de mon père qui habitait un rez-de-chaussée et qui était une cuisinière exceptionnelle. Une fois par an dans son tout petit appartement elle réunissait la famille pour un Barbouche dont elle avait le secret. Même moi, pénible comme j’étais, j’adorais ce plat qui ne ressemble à rien. Pourquoi vous parlez d’un chien ? Qui n’en a pas eu ? Moi ! Et pourquoi ? Voilà donc cet animal très connu du quartier et dont les exploits étaient fièrement racontés par mon père. Mes parents aimaient aller dîner dans un restaurant en terrasse, face à la mer sur le boulevard de la corniche. Youyou venait les rejoindre quand il en avait envie. Dès qu’il arrivait on lui servait à manger de l’autre côté du boulevard pour ne pas déranger la clientèle. Ce soir-là, comme d’habitude, son repas est déposé de l’autre côté du boulevard. Il y a toujours beaucoup de voitures, surtout en soirée quand il fait si chaud à l’intérieur et si bon en bord de mer. Les gens circulent, c’est l’été. Youyou est affalé sur les pieds de mon père. Il fait trop chaud, ça lui coupe l’appétit. Tout à coup, sans prévenir, il se réveille et comme un fou traverse le boulevard, évitant par miracle de se faire écraser. Il va vers la nourriture, lève la patte, pisse dessus et revient s’allonger. Ma mère est debout, elle suffoque, qu’est-ce qui lui a pris. Et elle réalise alors le scénario, youyou avait vu de loin un autre pauvre chien s’approcher. Youyou était propriétaire, il ne voulait pas de son dîner mais personne n’allait le lui prendre. Il devint encore plus célèbre. Maman m’a dit qu’en terrasse tout le monde en a ri. Bon, me direz-vous, l’avez-vous connu ? Non. Et voilà la fin tragique de Youyou. Ma mère est tombée enceinte après 17 ans de mariage quand personne de la famille n’y croyait plus. Elle a passé 9 mois sous les bombardements sans trop de peine. Et puis les douleurs sont arrivées et elle est partie en clinique. Au moment des douleurs Youyou a commencé à aller mal, il est mort à l’instant précis où je suis née. En grandissant on s’est aperçu que j’avais sur la cuisse une marque. La peau était rugueuse et plus foncée. Un chien, de profil, une petite gueule, une queue. Ils ont pris une photo et maman était si inquiète qu’elle demanda au docteur si la tâche allait s’étendre ? Elle a grandi avec moi, elle est toujours là. On ne distingue plus le chien. Quand on demandait à ma mère pourquoi ils n’avaient plus de chiens elle répondait : « il lui a cédé sa place ». Cette histoire m’a coûté deux séances
de psychanalyste. J’ai remplacé les chiens dans l’affection
de mes parents.
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The Platters - Sixteen Tons | ||||