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Rhapsodie en bleu nuit
Elle a la digestion difficile. Depuis toujours. Petite, c’était la bataille tous les repas car elle refusait la nourriture en dépit de toutes les promesses de récompense, avale lui disait sa maman, avale lui disait papa, Avale lui répétait tous ceux qui se trouvaient présents au moment du repas. Elle gardait la nourriture dans sa joue qui gonflait, maman appuyait gentiment d’un doigt sur la joue gonflée. Rien n’y faisait. Pourquoi ne se demandaient-ils pas ce qui empêchait cette enfant d’avaler du solide alors que le biberon de lait descendait tout seul ? Il faut savoir que les repas de midi ou du soir ne se terminaient jamais sans que papa s’énerve contre maman, pas cuit, trop cuit, il gueulait, se levait de table et partait en claquant la porte. Quand il y avait des visiteurs tout roulait sans accroc. Sauf le jour, la petite fille avait 7 ans, où elle ne voulait pas de sa soupe. Il s’est levé, a pris l’assiette de soupe chaude et la lui a cassé sur la tête en présence de la tante Henriette en visite ce jour là. Témoin muet, elle n’allait pas aggraver la situation en ouvrant un clapet qu’elle gardait soigneusement fermé après tant d’années supportant un mari alcoolique et coureur, frère aîné du papa en question. Tous les jeudis elle était conduite chez sa grand-mère. Celle ci savait combien il était difficile de faire manger l’enfant. Et pourtant, chez elle, la petite dévorait. Il faut dire que chaque semaine elle partait à la découverte de délices gastronomiques. Mamie n’hésitait pas, en dépit du jeune âge de l’enfant à lui présenter des plats qui auraient fait le bonheur des membres adultes de la famille. Non seulement elle mangeait mais le soir, à son retour elle racontait à ses parents ahuris ce qu’elle avait découvert chez Mamie. Il y avait aussi une parente qui faisait des confitures comme la petite fille n’en avait jamais goûtées. Fraise, banale direz vous, tout le monde a mangé de la confiture de fraises, mais comme celle de « Clacla », non! La tante en question répondait au nom désuet et charmant de Clarisse. Elle aurait pu s’appeler Claire, tant sa bonté la faisait lumineuse. A part la fraise, les abricots, les framboises, le melon confit, les oranges amères confites et les nèfles de son jardin, il y avait l’ingrédient secret qui donnait à tout ce qu’elle touchait un goût spécial. Elle adorait la petite fille qu’elle avait la première tenue dans ses bras alors que le père, dans un de ses moments de colère qui duraient souvent une quinzaine de jours avait refusé de se rendre à la clinique. Vingt ans plus tard, alors qu’il était mourant, c’est à cette parente qu’il demanda pardon. Non pas à sa femme, non pas à sa fille, mais à celle qui lui fit honte de son absence a la naissance de son enfant. Et ainsi elle grandit, appréhendant les repas, mangeant sans goût pour éviter d’irriter son père que la mère excusait, il avait fait la guerre de 14-18 et semblait il en était revenu, comme d’autres ….irascible. Le mystère du refus de manger la conduisit chez nombre de médecins, qui tous la trouvait un peu maigrichonne mais en bonne santé. Alors, disait maman ou est le problème. Et un jour papa eu une idée. La chaleur, ou le froid, ou l’humidité, enfin, quelque part le temps était responsable. L’autre problème c’était dormir. La sieste, pas de problème. Mais la nuit, debout dans son petit lit, se tenant aux barreaux elle pleurait, j’ai pas sommeil. Bon, ça allait 5 minutes, alors après une bonne fessée papa disait « maintenant tu sais pourquoi tu pleures. » Mais il n’était pas méchant et il se rendait compte que l’enfant était intelligente et se prenant pour Pygmalion entreprit de développer son esprit en inventant toutes sortes de jeux ayant pour but d’accroître son vocabulaire ou sa connaissance de la langue française. Toujours au moment des repas. Il était ainsi si occupé qu’il ne remarquait pas la viande poussée sous la purée et à quelle vitesse la mère débarrassait la table pour passer au dessert. Un été, inspiré par son ami Jojo, qui lui dit »et si on envoyait femme et enfant en France cet été pour leur éviter la chaleur », il se dit que ce serait peut-être la réponse au problème que leur posait l’enfant. Et ainsi par un radieux après midi de Juillet la petite fille, sa mère, la cousine de celle ci et son petit garçon embarquèrent pour la France. Sur le bateau quelques temps plus tard la cousine offrit aux enfants du pain d’épicé. La gamine, alors âgée de 7 ans en redemanda. A l’étonnement des deux femmes. Et à partir de là l’enfant commença à se nourrir normalement. Pourquoi ? La question resta non formulée. Parce que le père n’était pas là Londres, le 23 juin 2021
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